De Cusco à l'altiplano
Nous voilà à l'orée de notre dernière étapeà vélo de notre voyage. Notre ultime point de chute avant de revenir en France, sera La Paz. Nous longeons l'aéroport de Cuzco, la circulation est dense, comme toujours aux abords des agglomérations. L'incivilité ou plutôt la bêtise de certains conducteurs nous énervent, ils n'hésitent pas à s'arrêter devant nous en nous faisant des queues de poisson ou s'amusent à nous frôler. Nous répliquons par des coups sur leur carrosserie.
Après 30 km, un colombien, Hugo, voyageant également à vélo, nous double aisément. Il est assez peu chargé ("version light") et vient de passer deux mois à Cuzco. Il continue vers Juliaca puis Arequipa. Après la première partie en faux-plat descendant, nous amenant à 3100m, nous entamons ce qui doit être notre dernier gros col. Nous passons à côté de Pikillaqta (la citée de la puce), construite par la civilisation Wari (pré-inca, 600-900 après JC). Cet empire avait pour capitale Wari, à 25 km au nord d'Ayacucho (ou Huamanga en quechua). Cette cité fut le symbole et le centre administratif le plus important de l'état Wari dans la province de Cuzco. Elle comprenait à la fois un centre cérémoniel et le lieu de résidence des nobles, des prêtres et des travailleurs temporaires (intérim, CDD...). On peut y voir des murs aux pierres ajustées, comme quoi cette technique n'était pas une innovation des incas !
Nous rejoignons la vallée d'Urcos, ville bordée par une jolie lagune, et par là même, le río Vilcanota que nous allons suivre plusieurs jours, jusqu'à ses sources. En fin de journée, après 77 km, nous retrouvons Hugo, couché au soleil sur le bord de la route, casque de baladeur sur les oreilles. Avec lui, nous campons dans les ruines d'une hacienda appartenant à un péruvien de Lima et une espagnole de Cordoue.
Pendant le petit-déjeuner, notre ami nous raconte qu'il a eu la peur de sa vie durant la nuit : l'esprit de la maison lui aurait rendu visite (et lui aurait donné des fessées...) !!! A notre départ, il fait sa séance de méditation quotidienne, tranquille, alors que la veille il s'amusait de savoir que nous ne pédalions pas avant 8h30/9h.
Le paysage se jaunit au fil des kilomètres, c'est l'époque de la moisson (blé, avoine). Beaucoup n'ont pas de machines et récoltent à la main, faisant des gerbes coupées à la faucille puis des meules rondes, comme dans nos imagiers. La vallée est assez ouverte et les montagnes environnantes sont plutôt érodées et petites malgré l'altitude où nous nous trouvons (3700m). Après Combapata, où la veille les villageois bloquaient de la route pour dénoncer la privatisation de l'eau (ils ont bien raison !), nous rentrons sur un large plateau, toujours entourés de moyennes montagnes. Dans le village de Raqchi se situe le temple le plus grand et le plus beau construit en mémoire de Wiracocha Pachayachachi (faiseur du monde). Il est formé de 4 nefs de 92m de long et 25m de large. A l'intérieur de la structure, se trouve un mur médian formé de pierres sculptées et d'adobe de plus de 12m de haut. La structure est complétée par 22 colonnes cylindriques qui soutiennent les toits de ce temple de plus de 2300m2de superficie. Nous campons peu après la ville de Sicuani où nous avons rejoint Hugo qui flânait au bord du río. Si vous zonez sur la photo, vous verrez de petits personnages, mais pas sûr que Bart soit d'époque !
Moins de 40km nous sépare de l'Abra La Raya à environ 4310 m d'altitude (comme souvent les différentes infos ne coïncident pas : 4338, 4321, 4312...). Mais pour les kilomètres, c'est parfois aussi difficile que pour l'altitude de s'y retrouver ! Nous passons le long de sources d'eau chaudes, village bien nommé Agua Calientes (eaux chaudes !). Pour traverser le torrent, un pont amazonien en corde !
Les cultures se raréfient pour laisser place à la pampa avec quelques sommets faiblement enneigés aux alentours. Le vent est toujours de dos, ce qui nous arrange bien. Au passage du col, nous quittons la région de Cuzco pour entrer dans celle de Puno et sur le fameux Altiplano. Après une petite descente, nous nous arrêtons pour le repas et Hugo, à cours de tout, profite bien de notre pain ! Nous roulons sur la grande plaine menant au Lac Titicaca, seulement quelques collines émergent. A part une partie sur la côte, vers Chiclayo, c'est la première fois du voyage que nous enchaînons les kilomètres à plat et cela, alors que nous sommes à 3900m d'altitude. Le soleil est accablant la journée, sans être chaud ; par contre, dès qu'il se couche, le froid se fait intense.
Nous trouvons refuge auprès de pauvres éleveurs : quelques moutons, une ou deux vaches et une maison en adobe. Ils fabriquent eux-mêmes leurs briques de terre crue. Notre compagnon colombien tente vainement de planter deux bouts de bois dans le sol sec pour installer son hamac. Il voyage sans tente ni sac de couchage. Heureusement les gens de la ferme lui prêtent des couvertures pour améliorer sa nuit. Il nous propose de préparer à manger avec notre réchaud, car il lui reste peu d'essence et pas de quoi en racheter. Nous acceptons mais il semble surpris que nous ne préparions rien de notre côté. Le dîner est frugal : 250g de pâtes à trois...
Au matin, nous partons une nouvelle fois avant lui mais cette fois-ci avec l'espoir de ne plus le revoir ! Il profite un peu trop de notre gentillesse à notre goût. Après un arrêt à Ayaviri, où les villageois fêtent des mariages tout le mois d'août, nous poursuivons le long du río Pucará où Pauline aperçoit ses premiers flamands roses (orientée par son compagnon, parce qu'elle a la tête dans le guidon !). Le paysage change peu mais les kilomètres défilent. Nous trouvons refuge pour la nuit près d'une ferme tenue par 2 femmes : elles ont un beau troupeau de moutons, avec beaucoup d'agneaux, quelques lamas et quelques vaches.
Le soleil réchauffe vite l'atmosphère de début de journée. En guise de petit-déj', nous assistons à l'exécution d'un mouton ainsi qu'à un cours sur son anatomie. Pauline ne se sent pas au mieux −pas à cause du mouton...− et nous pensons nous arrêter à Juliaca. Sur le chemin, un colectivo frôle de tellement près Nico qu'il lui arrache la fermeture de la sacoche arrière, nous sommes furieux, surtout qu'un peu plus loin, un jeune s'amuse à lui lancer une pierre. Il y a des jours où l'envie de rentrer se fait pressante.
Plus loin, nous faisons une rencontre qui nous redonne du baume au coeur : Michel et Sonia, 2 suisses. Ils voyagent également à vélo depuis 1 an. Ils ont visité la France, l'Espagne, Cuba, l'Argentine, le Chili, la Bolivie et finissent mi-septembre en Equateur. Michel a parfois aussi des envies de péruanicide... Sonia nous tempère en nous disant que la vie est comme ça par ici. Nous nous quittons, chacun dans notre direction. Nous atteignons le terme de notre étape, Juliaca, ville bien peu jolie. Nous y trouvons tout de même un hôtel avec une douche brûlante très agréable.
Sillustani
Le lendemain, nous faisons peu de bornes pour nous rendre à Sillustani. Le site est un grand cimetière des époques pré-inca et inca. Les tombes, en forme de tours (Chulpas), se trouvent sur une presqu'île du majestueux lac d'Umayo. Pendant que certaines continuent les fouilles archéologiques, d'autres, malgré les interdictions, trouvent une utilisation contemporaine à ces pierres empilées... L'endroit invite à la quiétude de part sa beauté et sa tranquillité. Les ancêtres andins n'avaient pas choisi n'importe quel endroit pour leur dernière demeure.
Sur le chemin, nous rencontrons des vaches aux moeurs spéciales : elles semblent beaucoup aimer le bain ! Nous voyons aussi de petites haciendas, à l'architecture typique, qui offrent le gîte. Nous préfèrons le conort de notre tente.
Nous trouverons à camper à l'Université agricole de Puno, entourés d'alpagas et de moutons. Près du site, nous pouvons également admirer les Warus-Warus , système d'irrigation datant de 1300 avant JC, qui permet d'augmenter les rendements sans utiliser d'engrais. Les peuples andins étaient vraiment des experts en agriculture intensive !
Le lac Titicaca et la frontière péruano-bolivienne
L'axe Juliaca - Puno est l'un des pires que nous ayons emprunté. L'attitude des péruviens sur la route désespère Nico. Nous sommes sans arrêt klaxonnés et frôlés de vraiment trop près, puisqu'ils se croient invicibles. Pauline préfère faire du tire aux pigeons avec les voitures doublant face à nous. La vue sur le Lac Titicaca, superbe, compense notre peine. Il se trouve à 3812 m d'altitude, fait 175 km de long (204 km suivant les infos), 284 m de profondeur et couvre 8340 km2 (ou 8562 km2...). 4388 km2pour la Haute-Savoie, 5915 km2 pour la Seine et Marne, 27.6 km2pour le lac d'Annecy et 581 km2pour le lac Léman. Y'en a qui aiment les chiffres...
Nous passons assez vite Puno, puis nous suivons les berges du lac par Chucuito, la Cordillère Real en toile de fond avec l'Illampu et l'Ancohuma. Après 90 km, nous campons vers Cutiri, accueillis par une très gentille famille. Ils nous proposent de dormir entre 4 murs mais nous préférons notre tente (plus de 100 nuits passées dedans depuis le début du voyage). Ils sont étonnés et pensent que nous allons geler. Par ici, le dialecte a changé, on est passé du quechua à l'Aymara. Leur drapeau, bien que gardant les couleurs de l'empire inca (Tiwantinsuyo), est un damier, représentant .
Peu après notre départ, vers Juli, nous échappons de peu à l'imbécibilité d'un chauffeur de bus. A la sortie d'un virage, il empiète au 3/4 sur notre voie et nous loupe de peu... Nous avons qu'une hâte, c'est de quitter ce pays, ce qui est bien dommage. La rive est encore très jolie jusqu'à Pomata, ville philosophique de l'Altiplano..., nous apercevons la Isla Del Sol et Copacabana. Nous avons une pensée pour la maman de Nico qui n'a pas pu voir ce lac. Pauline fait beaucoup de photos pour lui en faire profiter un maximum.
Nous nous arrêtons à Pomata pour prendre notre dernier almuerzo péruvien. Nico se fait accoster par une soeur de Saint-Vincent de Paul qui connaît quelques mots de français. Nous reprenons notre chemin, direction Desaguadero. Cette route est moins fréquentée et plus courte jusqu'à La Paz, que celle de Copacabana,et surtout nous permet de passer à côté du site de Tiwanaku. Les derniers kilomètres pour rejoindre la
frontière sont un peu pénibles avec le vent de face, mais nous
sommes déterminés ! Les formalités administratives se passent bien, nous avons passés quasi 6 mois au Pérou et nous avons d'emblée 90 jours de visa en Bolivie alors que nous allons y rester que 15 jours. Nous continuons jusqu'à Guaqui, la route est agréable et les paysages sur le lac aux lueurs du soir sont superbes. Ça sera pas si mal pour aujourd'hui car nous cumulons plus de 100km à 3800m d'altitude, l'acclimatation semble bonne !
Tiwanaku
Une petite heure de pédalage nous amène à Tiwanaku (ou Tihuanaqu ou Tiawanaku, comme vous voulez, ici il y a souvent plusieurs orthographes pour un même lieu...). Ce site est la capitale Aymara ou de la civilisation Tiwanaku qui a existé sur plus de 2000 ans pour s'éteindre vers 900 après JC. Elle est une des origines de l'empire inca, comme la civilisation Wari.
Pour ce qui est des ruines, seuls le temple Kalasasaya, où l'on peut voir la porte du soleil, et le temple semi-souterrain sont intéressants. Le premier se compose de pierres impressionnantes, tandis que le deuxième comporte, insérées dans les murs, 120 têtes de pierre volcaniques anthropomorphes. Le reste n'est que ruines à moitié découvertes. Nous vous conseillons de prendre un guide pour mieux comprendre le site comme l'ont fait des amis. Quant aux musées, l'ancien est assez sommaire. Nous apprenons tout de même des hippocampes peuplent le lac Titicaca, preuve qu'il était probablement relié à l'océan dans des temps anciens. Par contre, le nouveau est carrément pitoyable : déjà en travaux car tout s'effondre... Par chance, la grande statue représentant la Pachamama, déesse de la terre, le Bennett, est accessible.
Après cette visite, un peu décevante, nous reprenons la route jusqu'à Tambillo, en passant le col Lloco Lloco à 4038m. De là, nous pouvons admirer la plaine menant à El Alto, l'Altiplano continuant plus au sud et toute la cordillère Real, de l'Illimani à L'Illampu en passant par le Huayna Potosí entre autres. Seulement 50 km nous sépare de La Paz. Les émotions sont mitigées, nous sommes tristes d'être à la fin du voyage et heureux de bientôt retrouver nos familles et la douceur de la France. Nous profitons de notre dernière soirée sur la "route".
LA PAZ !!!!!!!
Le froid est toujours vif au matin et seuls les premiers rayons, vers 6h30/7h (heure péruvienne !), nous permettent d'envisager de sortir du sac du couchage. Les boliviens sont beaucoup moins virulents (que leurs voisins péruviens) sur la route, par contre il y a toujours autant d'animaux écrasés. Les chiens sont les plus nombreux mais nous avons également vu une vache et un âne. C'est vrai que ces animaux débouchent fréquemment et très rapidement sur la voie et qu'il est difficile de les éviter...
L'arrivée sur La Paz se fait bien, nous sommes doublés par un groupe de motos-taxi anglais que nous avions déjà vus au Titicac. Puis un camion en panne : le conducteur est resté au voalnt tandis que sa moitié a plongé dans le moteur ! L'Illimani et le Huayna Potosí domine majestueusement la capitale bolivienne qui débute par El Alto. Cette ville, située à 4000m d'altitude, regroupe la population pauvre de la mégapole. C'est sûrement le seul quartier pauvre à être situé sur les hauteurs par rapport aux zones riches ! Sa traversée n'en finit pas mais en pleine journée, nous sommes peu inquiétés. Est-ce à cause des avertissements en forme de pantin proclamant que tout voleur sera linché et brûlé ? L'arrivée au-dessus de la cuvette de La Paz est impressionante. La citée s'étale sur des kilomètres et remontent de partout les flancs de la vallée. Nous trouvons assez vite un hôtel dans le quartier touristique, les vélos sont mis au placard... Pauline aurait bien aimé continuer ; de son côté, Nico a plus besoin d'autres plaisirs sans mettre une croix sur ce moyen de transport pratique, écologique et assez valorisant tout de même (!). Pour nos 10 derniers jours, nous allons commencer par bien nous reposer, profiter de cette si particulière capitale et pourquoi pas envisager une ascension pour nous dégourdir les jambes !